Texte d'Isabelle Bonzom Fresco mentoring -Olivia Irvine

Je pratique le buon fresco, peinture sur enduit frais composé de chaux aérienne, depuis 1988, date à laquelle j'entrais à l'atelier fresque des Beaux-Arts de Paris. Ayant déjà expérimenté la peinture murale avec d'autres techniques et dans une approche contemporaine, c'est sans nostalgie que j'abordais le buon fresco, art et technique pourtant millénaires. Soucieuse de transmettre, j'ai commencé à enseigner la peinture à fresque dès 1993. J'ai ainsi formé des centaines de personnes de différentes nationalités à l'occasion d'ateliers organisés en France. J'ai enseigné à des étudiants ou des professionnels, des débutants ou des personnes expérimentées. Convaincue de la pertinence de la fresque à l'heure actuelle, j'ai toujours eu à coeur d'aider mes élèves à trouver leur voie tout en respectant les particularités du buon fresco.

Olivia m'a contactée en janvier 2022 alors qu'elle s'apprêtait à solliciter une bourse du Queen Elizabeth Scholarship Trust. Dans l'email qu'elle m'envoya, intitulé Fresco Mentoring, Olivia m'expliquait qu'elle avait déjà expérimenté la fresque sur petits panneaux, elle avait même tenté la réalisation d'une fresque sur mur, mais elle désirait être formée par mes soins afin d'améliorer et d'approfondir ses premières recherches et d'apprendre à bien appréhender le buon fresco sur mur.

J'ai donc mis au point un programme sur mesure adapté à son travail d'artiste, à son niveau à fresque et à sa demande. Ce programme était une formation intensive de trois semaines étalées sur deux mois, dont six jours de formation à distance dispensés sur six semaines suivis de quinze jours face au mur, en Écosse.

À distance, grâce à des séances en visioconférences et par email, j'ai pu initier Olivia aux principes théoriques majeurs de la fresque, à son histoire et à ses enjeux esthétiques. En prenant en considération le travail personnel d'Olivia, son dessin, ses méthodes d'assemblages et les empreintes qu'elle faisait déjà sur ses tableaux, je lui ai suggéré des pistes à explorer sur l'enduit frais. La formation à distance fut aussi une période où j'ai conseillé Olivia sur le choix des sujets en prenant en compte son travail personnel et les particularités de la peinture à fresque. À cette période, Olivia a également commencé à dessiner les maquettes.

Nous avons même organisé des séances à distance sur le lieu même où Olivia allait créer sa fresque afin qu'elle prépare les deux pans de mur sur lesquels elle allait peindre à fresque. Elle choisit la Merz Gallery, centre d'art et résidence d'artistes dans la campagne écossaise au sud-ouest d'Edimbourg, comme lieu d'accueil pour réaliser ce projet sur des murs de briques.

Avant de partir à la Merz Gallery, nous avons, dans l'atelier d'Olivia à Édimbourg, réajusté le choix des images et précisé l'organisation du chantier. Puis, nous sommes parties pour la Merz Gallery où nous avons travaillé à la réalisation de la fresque sur deux murs.

La Merz Gallery, située à Sanquhar dans la région de Dumfries and Galloway, a été créée et est dirigée par David Rushton, ex-membre du collectif d'art conceptuel Art and Language. En intitulant son centre d'art Merz Gallery, David rendait hommage à l'artiste allemand dadaïste Kurt Schwitters, célèbre pour avoir créé des collages hétéroclites de papiers et objets fragmentés et récupérés qu'il rassemble sous le titre global de Merz, fragment du terme Commerzbank. Je dois dire que ce contexte et la référence à Merz m'ont emballée car j'aime depuis longtemps Schwitters et je conçois la fresque comme un assemblage.

En effet, la peinture à fresque est constituée de fragments d'enduits lorsque le projet dépasse un mètre carré. Le fresquiste doit alors morceler son projet pictural par giornate (fragments d'enduit) étant donné que l'enduit de chaux aérienne sèche vite au contact de l'air en carbonatant. La carbonatation est un processus chimique qui cristallise et protège les couches picturales quand le peintre peint avant la prise de l'enduit. La peinture à fresque est composée uniquement de pigment et d'eau, sans aucun liant contrairement aux autres techniques. La couleur est donc pure, forte et intense.

J'ai incité Olivia à prendre en compte ces spécificités techniques de la fresque, à les intégrer dans son projet, voire à accentuer la fragmentation et les raccords d'une giornata à l'autre, à renforcer l'effet patchwork de l'image globale du projet. J'ai aussi invité Olivia à profiter des grandes possibilités qu'offre la peinture à fresque, langage particulier, offrant des expérimentations multiples. Il est ainsi possible de colorer l'enduit dans sa masse, de rythmer la surface du mur par pans colorés. de jouer des transparences et des opacités, de superposer les enduits et les couches picturales. Olivia a aussi pratiqué la gravure sur l'enduit, elle a retrouvé le mortier coloré en dessous en référence, à la fois, à la technique décorative traditionnelle du sgraffito et à la pratique plus populaire du graffiti.

Ce projet fut un travail expérimental à la fois créé pour le lieu, inspiré de la nature environnante et en cohérence avec le travail personnel d'Olivia sur d'autres supports que le mur. Les journées furent intenses, jusqu'à douze heures de travail par jour. Extrêment motivée, avec une capacité de travail et un sens de l'adaptation très développés, Olivia a pu plonger profondément dans l'aventure de la peinture à fresque et se l'approprier.

Cette formation sur mesure s'est prolongée à l'Abbaye de Saint-Jacut, en Bretagne, où Olivia a rejoint un groupe de stagiaires réunis en résidence à l'abbaye lors d'un atelier fresque dirigé par Valérie Letombe, présidente de Pari(s) Affresco, et moi-même, fondatrice de l'association. Dans son essai « Un pommier peint à fresque à l'Abbaye de Saint-Jacut », Olivia relate cette résidence.

Isabelle Bonzom, décembre 2022