" Le Buon Fresco ou l'art des opposés "
un essai de Nathalie Ouaknine
Isabelle Bonzom "Poudreuse" 2021 - buon fresco
Nathalie Ouaknine est designer, initiée à la peinture à fresque, elle est aussi membre du bureau de l'association Pari(s) Affresco.
L’art de la fresque est considéré comme l’art global, car il implique un grand savoir-faire et la maîtrise de techniques de la couleur, de la matière, du temps, etc., avant même de considérer le talent des artistes. En outre, cet art mêle les opposés, dans sa technique comme dans sa temporalité et par tous ses atouts historiques, pédagogiques, et écologiques. Une fois que nous apprenons à le connaître, à apprécier le travail et le savoir-faire requis, on ne peut que défendre et transmettre ce trésor qui traverse le temps.
Pour la designer que je suis, le premier attrait de l’art de la fresque est la possibilité de travailler sur un grand format, tangible. À l’heure où la création semble ne pas pouvoir se dispenser des écrans, il est important de se reconnecter à la matière.
La vision de la fresque par un néophyte se réduit à imaginer l’application de techniques de peinture classique sur un mur ou une quelconque surface verticale à grande échelle. Ma surprise première est de débuter ma formation par un cours d’histoire de l’art et de la chimie de la chaux puis d’être interrogée sur sa condition physique par le maître fresquiste avant d’engager ses travaux.
La force et la délicatesse
L’art de la fresque demande énormément de force et d’endurance : pour les mélanges des matières (sable, pigments, chaux), pour la préparation des murs (piquetage, etc.), pour la pose des enduits et enfin pour le travail à bras levés des surfaces hautes. Cela requiert à la fois force et endurance.
Cependant, des moments de pure délicatesse s’intercalent entre les efforts – notamment lorsqu’il convient d’élaborer ses couleurs. Les pigments doivent être choisis en fonction de la composition, or ceux-ci sont extrêmement puissants. Certains sont miscibles, d’autres non. Le fresquiste doit donc se faire alchimiste, dosant méticuleusement chaque nuance.
Une fois la palette de couleurs formée, vient l’étape de l’application sur l’enduit frais. Face à cette surface humide et fragile, muni de ses pinceaux, l’apprenti fresquiste lui donne de légères caresses pour esquisser son intention créative en espérant fébrilement obtenir le résultat qu’il souhaite. Il apprend à écouter son enduit pour estimer le temps qu’il lui reste pour travailler. La fresque a donc ceci de troublant qu’elle fait appel à de vraies aptitudes physiques comme à une grande sensibilité.
Le toucher est convoqué pour peindre à fresque.
Tâter l'enduit pour en mesurer son humidité et évaluer le temps qu'il reste pour peindre avant carbonatation.
La préparation et l’improvisation
La fresque demande de la préparation, ce qui n’est pas uniquement dû au format mais aussi à la technique mise en œuvre.
Ainsi, une fois le projet choisi et l’esquisse sur papier ébauchée, le projet doit être pensé en grand et en giornate. La gionarta est une journée de travail (soit 1 à 8 heures avant que l’enduit ne sèche). C’est pourquoi le fresquiste doit toujours découper, fragmenter son mur en zones de travail, en fonction des paramètres de séchage, plus particulièrement de carbonatation.
Après s’être entrainé de nombreuses fois en taille réelle, l’esquisse préliminaire faite, le fresquiste peint sur l’enduit frais. C’est une part d’improvisation, et la matière n’offre pas de seconde chance. Tout écart nécessite une réaction immédiate. L’analogie du théâtre est assez parlante, lorsqu’après des répétitions innombrables le rideau se lève et que la magie se doit d’opérer, dans un court laps de temps, sans artifice.
Le moment et l’éternité
Cette étape de révélation de l’œuvre au cours de la giornata est une source de ressentis contradictoires pour l’apprenti fresquiste : une forme de frénésie, liée à la conscience du temps restreint à disposition, laisse malgré tout place à un état de grâce et de calme absolu. L’artiste est obligé de s’investir pleinement dans ce moment et cette obligation devient un ancrage dans le réel qui lui procure un sentiment de plénitude. Le fresquiste dispose de quelques heures pour exploiter ce mélange de sable et de chaux, le peindre, le creuser, avant que le phénomène de carbonatation de la chaux s’achève. A la fin de la giornata, son travail est figé pour l’éternité ou presque. Un voyage à Pompéi invoque immédiatement l’imagination des fresquistes de l’époque avec leurs pigments et leurs pinceaux, soumis aux mêmes contraintes et lois chimiques qu’aujourd’hui. Après 2000 ans, leurs œuvres restent intactes, toujours aussi éclatantes. La lave les a conservées et l’excavation les a révélées, il y a un siècle, et en d’autres lieux, d’autres fresques montrent qu’elles échappent à l’érosion du temps. Ainsi l’éternité est tout autant dans la façon dont ces œuvres perdurent, que dans la répétition millénaire des techniques, manipulations et savoir-faire mis en œuvre.
La Villa des Mystères, milieu du 1er siècle avant J.C. Photo © Nathalie Ouaknine
L’humilité et la fierté
Face à tous ces exemples du passé et face à la maîtrise de nombres de techniques pour être un bon fresquiste, le chemin à parcourir appelle à l’humilité. Quelles que soient ses aptitudes et son parcours, l’apprenti fresquiste découvre vite qu’une mise à niveau est nécessaire pour pratiquer le buon fresco. Un premier contact avec la fresque donne envie de reprendre la formation, de se perfectionner afin de revenir, plus accompli, devant l’enduit avec une langue de chat*. Ce qui donne à comprendre pourquoi l’art de la fresque est qualifié d’art global.
Mais la fresque offre aussi des moments de fierté : être allé au bout de son projet (au bout de soi), le voir gravé dans la pierre car l’enduit de chaux aérienne redevient calcaire, avec ce rendu que la chaux transcende par sa lumière. La franchise requiert d’admettre qu’une réalisation même imparfaite suscite une fierté peu commune.
Sans égaler la fierté d’un Michel-Ange après avoir fini le plafond de la chapelle Sixtine inauguré par le pape Jules II saluant ainsi 4 ans de travail acharné. Et pourtant, par opposition à ce résultat, l’artiste a travaillé dans des conditions misérables, comme le montrent ce croquis de posture ou ces vers humoristiques. L’humilité n’est donc jamais loin.
Le passé et l’avenir
Un intérêt pour la fresque va nécessairement de pair avec une avide curiosité pour les techniques des maîtres passés, notamment car ces techniques semblent pour l’essentiel intemporelles. La fresque est également l’émouvant témoignage d’une époque comme d’un savoir-faire. Le support instruit tout autant que l’objet représenté. Il serait néanmoins réducteur de n’associer la fresque qu’à Pompéi, au Moyen-Âge, à la Renaissance ou aux pièces de musées, au témoignage des temps passés.
Cette technique ancestrale est aussi une solution d’avenir. En effet, l’utilisation d’enduit à la chaux présente de nombreux avantages pour nos constructions. Écologique, la chaux est un bon régulateur hygrométrique, il est de plus imputrescible et ignifuge. L’utilisation de cette technique couplée avec des sous-couches de paille pour l’isolation thermique, permet de répondre aux enjeux environnementaux, la matière étant même totalement recyclable.
En généralisant cet art, on multiplie les surfaces permettant d’accueillir les œuvres des artistes de demain.
La situation sanitaire nous a bien rappelé que l’art ne peut pas seulement être dans les musées. L’art doit être accessible à tous, et parmi nous. L’art urbain est plus présent dans nos villes comme le street-art nous l’a montré. La fresque est une solution antique d’avenir.
Michel-Ange, poème et dessin
Défendre et transmettre
C’est pourquoi il est important de défendre et transmettre cette technique antique et artistique, et tel est le rôle de l’association Pari(s) Affresco depuis ses débuts.
Défendre par la meilleure des armes, la connaissance, via les conférences, les salons, les articles et les réseaux.
En effet, la fresque est un art assez mal connu en France. De ce fait, il est davantage assimilé à une « grande peinture murale de technique quelconque », comme le décrit le dictionnaire Larousse, qu’à une « technique de peinture murale caractérisée par l'application sur enduit frais composé de chaux aérienne, de pigments de couleur détrempés à l'eau », soit sa définition première et très succincte du même dictionnaire. Le buon fresco, appellation italienne de cet art, est utilisé par les fresquistes pour lever le doute sur la technique.
Pour exemple, le magnifique plafond de l’opéra de Paris fait par Chagall, communément appelé fresque, est en fait un mélange de techniques (dont le collage) sur des panneaux en polyester. L’œuvre de 1964 n’a donc pas les caractéristiques ignifuges et écologiques de la technique antique.
Transmettre, par l’enseignement, par la formation initiale et par les stages adultes pour former les fresquistes d’aujourd’hui et de demain.
Plus le collectif des artistes sera nombreux, plus les amateurs pourront apprécier leur travail et la diversité de cet art, dans sa mise en œuvre comme en tant que vecteur d’idées. Amateurs et mécènes seront ainsi davantage impliqués et enclins à promouvoir le buon fresco sur la place publique. Le mouvement du Muraliste mexicain au début du XXème siècle a été initié pour véhiculer un message d’égalité sociale de jeunes artistes, et a permis à la fresque d’être une composante du paysage urbain encore aujourd’hui. D’autres convictions peuvent nourrir et se nourrir de la fresque dans l’espace public actuel, notamment l’écologie et les enjeux climatiques. C’est tout le rôle de l’association Paris Affresco de promouvoir l’art de la fresque non comme une commémoration du passé, mais ancré dans le présent et comme une solution d’avenir.
Nathalie Ouaknine, 2021
*Petite truelle allongée en acier pour lisser l'enduit avant de peindre.
Nathalie Ouaknine "Clin d'oeil au chaland" 2016 - buon fresco
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