" La fresque, une insatiable appétence "
un essai de Julie Léonetti
Julie Léonetti est membre du collectif de fresquistes de Pari(s) Affresco. Aujourd'hui professeur d'Arts Plastiques, elle a toujours été attirée par la scénographie et le rapport entre l'oeuvre et l'espace, notions qu'elle travaille régulièrement avec ses élèves. Elle témoigne dans ce texte de son parcours, de la découverte de la peinture à fresque et de son envie de partager cette technique.
Julie Léonetti "Fenêtres" buon fresco et sgraffito
J'ai débuté la fresque en 2007 alors que j'étais étudiante en Arts du Spectacle. J'étais alors attirée par la scénographie, les décors de théâtre en particulier. Isabelle Bonzom était déjà mon enseignante sur plusieurs cours du soir de la Mairie de Paris et la pratique de la fresque fut une continuité presque évidente dans ma formation.
En 2009, j'ai passé le CAPES d'Arts Plastiques et après une année de stage dans le Nord, j'ai enseigné pendant six ans en région parisienne. Cela m'a permis de continuer à pratiquer le buon fresco à l'atelier de Bercy sous la direction d'Isabelle. Son enseignement, sa détermination sont toujours pour moi une source d'enrichissements à la fois technique, théorique et personnel. Elle est mon mentor et je profite de cette publication pour la remercier pour cette transmission.
La puissance de la couleur
Les techniques de dessin m'ont toujours plus attirée que les techniques picturales. Je m'y sens plus à l'aise. Mais dans la fresque il y a un autre rapport à la peinture. L'insatisfaction que j'ai pu ressentir dans la mise en couleur de certains dessins disparaît complètement lorsque l'on peint sur l'enduit frais. Même lors du travail préparatoire, que ce soient les croquis colorés ou la maquette à échelle, la mise en couleur n'a rien à voir avec celle à fresque. Quand le pinceau, imbibé de pigments, touche la surface de l'enduit encore frais, la couleur semble vibrer. L'accroche est totalement différente même par rapport à un papier à fort grammage. Les aspérités de l'enduit, la réaction du pinceau et le son de l'eau colorée qui crépite. La peinture devient vivante, éclatante. Et d'autant plus lorsque la chaux entame son processus de carbonatation, que l'enduit sèche et que la couleur s'imprègne. L'ensemble s'éclaircit car la chaux blanchit en séchant mais se dégage alors de l'oeuvre une lumière particulièrement puissante, vibrante.
Julie Léonetti "Fenêtres" buon fresco et sgraffito, detail
Les superpositions
La fresque c'est aussi un art des superpositions. Superposition du mortier sur le mur, de l'enduit sur le mortier, et superposition des couleurs. Les pigments ne se mélangent pas, il se superposent pour créer les teintes désirées. Tout d'abord par transparence, créant d'autant plus de luminosité en séchant. Puis avec des opacités faites de lait de chaux purs ou colorés.
Lors d'une conférence d'Isabelle, j'ai récemment pu découvrir les fresques de Goya dans l'église San Antonino de la Florida à Madrid. Cet aperçu m'a confortée dans mon admiration pour cet artiste et dans la conviction que la fresque est un art vivant, captivant et total. Les superpositions de couleurs transparentes et opaques dénotent la vivacité et la puissance colorée mise en œuvre.
Mais la fresque, ce n'est pas que de la peinture. Que ce soit en l'associant avec la mosaïque par exemple, mais aussi en superposant simplement des enduits colorés dans la masse que l'on peut alors graver, sgraffiter, évider, laissant apparaître du blanc ou de la couleur. Ma formation et mon attrait pour la scénographie ont certainement eu un impact dans la réalisation de mes fresques.
Et la superposition des enduits, colorés ou non, m'a particulièrement attirée. Laisser apparaître une forme, une couleur, travailler les couches, les épaisseurs comme des fenêtres, des ouvertures. Voir l'accroche de la lumière sur les différentes épaisseurs, créant des ombres, des reliefs et modifiant alors la peinture elle-même.
Julie Léonetti "Nénuphars" buon fresco et sgraffito
Travailler la fresque c'est aussi avoir la possibilité de superposer des peintures les unes sur les autres, les faire évoluer, les transformer. Pour mes deux dernières fresques, j'avais tout d'abord imaginé un motif floral de magnolias se reflétant dans l'eau. Plus d'un an après, sous l'impulsion d'Isabelle, j'ai pu l'étoffer, lui donner un autre visage en posant d'autres enduits sur lesquels j'ai peints des personnages qui s'intégraient dans le motif précédent. Les branches se mêlant aux cheveux, les enduits se superposant tout en se complétant.
Un besoin inextinguible, un lien avec l'espace
Le buon fresco est une technique totale, d'adaptation, de transformation. Une technique vivante dans laquelle le corps est lié à l'espace qui l'entoure.
Tout au long du processus créatif, un rapport à l'espace s'édifie au fur et à mesure. Piquer, mouiller, préparer le mortier et l'enduit. C'est un ouvrage physique et intense. Vient ensuite l'application du mortier et de l'enduit sur cette surface verticale et souvent immense face à laquelle notre corps doit s'adapter. C'est comme une danse où tout le corps est engagé. Puis, le corps se repose lorsque l'on grave le dessin dans l'enduit, que l'on prépare ses couleurs en attendant que l'enduit prenne légèrement pour être apte à recueillir la peinture. A ce moment là, vient l’apaisement, la tranquillité du corps et de l'esprit, le calme du geste, l'écoute du léger crépitement de l'enduit qui absorbe la peinture. L'art est thérapeutique, méditatif, et d'autant plus ici où tout le corps est engagé dans l'oeuvre. C'est certainement pour cela que l'on ressent une addiction, un besoin de pratiquer.
Julie Léonetti "Femme fleur" buon fresco et sgraffito, détail
Plus que de la peinture, la fresque est pour moi une pratique sensitive qui transcende la relation du corps au support, à l'espace tout entier. C'est une technique qui crée une vraie dépendance, un besoin d'y revenir. L'envie de préparer un mur, de poser et voir la réaction de la peinture sur l'enduit frais, reste immuable.
Le travail direct sur le mur oblige à penser l'oeuvre dans son ensemble et en lien avec l'architecture sur laquelle elle va s'intégrer. Le côté artisanal, maçonné, invite le fresquiste à créer son propre mur, son support et d'en faire ce qu'il veut. Dans la conception même du projet, il doit prendre en compte l'inscription de la fresque dans le lieu qui va l'accueillir. La taille des éléments que l'on va peindre, les dynamiques des lignes, des formes, la composition globale est mise en relation avec le lieu et son architecture. Il faut prendre en compte les ouvertures, le sol et le plafond, les dénivelés, colonnes ou autres éléments qui donnent du volume à l'espace. Le fresquiste n'est plus borné à un cadre, à une surface plane et délimitée. Il ne décore pas simplement un mur comme l'on accrocherait un tableau. Il investit le lieu. Il peut alors laisser libre court à son imagination sur des espaces souvent gigantesques. Il peut faire vivre l'espace, en créer d'autres, jouer sur les trompes l'oeil, sur les perspectives, les profondeurs, comme pourrait le faire un scénographe. Invitant alors le spectateur à entrer dans son univers, dans un autre lieu qui peut être infini, il peut ouvrir le mur, ouvrir l'espace, les frontières, tout en enracinant le visiteur dans le lieu dans lequel il se trouve.
Julie Léonetti "Tornade" gravure sur buon fresco
Beaucoup de Street Artistes développent ce lien avec l'espace par le biais de trompes l'oeil notamment. Il y a des analogies certaines entre les deux techniques. Toutefois la fresque m'a toujours davantage attirée car, en plus de son côté écologique contrairement à la peinture acrylique, la satisfaction que l'on ressent en érigeant notre propre mur et en peignant dessus est pour moi inégalable. C'est probablement aussi en cela que la fresque peut être considérée comme un art total.
Le destin m'a finalement menée en Bourgogne où je vis actuellement avec mon conjoint et nos deux enfants. Ces changements de vie sont venus occuper notre quotidien et nous ont pris beaucoup de temps. La fresque et ma pratique même du dessin ont été énormément mis de côté mais le besoin est toujours présent, l'envie toujours pressante. La fresque crée une sorte d'appétence inextinguible.
En tant qu'enseignante, j'ai l'envie et le désir de transmettre cette technique qui mérite d'être davantage connue et pratiquée. Pour l'instant je ne suis pas encore installée dans un établissement en particulier ce qui rend difficile la mise en place d'un tel projet. Mais l'idée chemine, et finira par se réaliser, d'autant plus que nous avons la chance d'avoir une des dernières carrière d'ocres à quelques kilomètres. J'ai souvent remarqué que les élèves prenaient difficilement conscience de leur environnement, même proche. Avoir accès à l'extraction des ocres, leur ferait découvrir ce que sont les pigments et comment fonctionne la peinture qu'ils utilisent. Ils prendraient conscience du lien qui existe entre leur environnement, la terre qui est propre à leur région et les œuvres qui les entourent et qu'ils peuvent créer. Et en travaillant sur les murs de leur établissement, ils peuvent se l'approprier, l'investir.
La pratique de la fresque a modifié ma perception de la peinture et surtout de l'espace. On ne voit plus l'environnement qui nous entoure comme avant. Chaque pan de mur devient une surface potentielle pour la fresque. Dans notre maison, je sais déjà sur quels murs je vais pouvoir laisser libre-cours à mon imagination, à mes envies. Les projets sont déjà dans ma tête, il ne reste plus qu'à trouver le temps, mais cela commence à venir et j'ai hâte de pouvoir enfin m'y remettre !
Julie Léonetti, 2021
Julie Léonetti "Tornade" gravure sur buon fresco, détail
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