" Fresque et Iconographie "
un essai de Joris Van Ael
Vue du parecclèsion, fresques, XIVèmme siècle. Église Saint-Sauveur-in-Chora, Istanbul, Turquie
Joris Van Ael (né en 1949) est iconographe de profession depuis 1979. Il a été initié à l’art de l’iconographie par Bernard Frinking et Léonid Ouspensky, iconographes orthodoxes à Paris. Il a réalisé des commandes importantes pour des abbayes, églises et pour des particuliers. Il a enseigné l’iconographie de 1998 jusqu’à 2016 à l’abbaye des Prémontrés d’ Averbode, dans le Brabant Flamand. Jusqu’ à maintenant, il reçoit des groupes d’élèves dans son atelier en Belgique. Depuis l’automne 2015, il a participé régulièrement aux cours de fresque sous la direction d’Isabelle Bonzom. À la création de notre association, il est devenu un des membres du collectif de fresquistes de Pari(s) Affresco. Joris Van Ael a réalisé la décoration à fresque de la chapelle St. Jean-Baptiste à l’Institut patristique de Gand (Belgique). Visiter son site
L'impératrice Théodora et sa cour" mosaïque, panneau latéral de l'abside, Basilique Saint-Vital de Ravenne, VIème siècle, Italie
Étant iconographe de profession, je me suis intéressé dès le début de mes activités à la fresque. Il faut savoir que la tradition iconographique, comme elle s’est répandue à travers le monde chrétien, est liée à différents supports, dont les premiers ont été les murs des sanctuaires.
Au tout début, la mosaïque paraissait le moyen idéal et trés durable pour décorer les églises. On la trouve dans les sanctuaires les plus anciens, à Rome, Milan, Thessalonique, Ravenne et en d’autres hauts-lieux de l’art paléochétien. Plus tard, quand les moyens des mécènes diminuaient, la fresque a gagné en importance. D’autres matériaux se prêtaient encore à la décoration iconographique comme l’émail, l’ivoire, les tissus et le parchemin des évangéliaires, psautiers et autres livres liturgiques. Toutes ces oeuvres, qui n’étaient pas encore qualifiées d’art, se rejoignaient, enrichies par l’art de célébrer, par la dramaturgie liturgique et le chant, réalisant une oeuvre d’art total. Intégrées à la célébration liturgique de la communauté rassemblée dans le mini-cosmos de l’église, toutes contribuaient à une atmosphère de beauté et de prière qui prenait les croyants par la main pour les amener devant Dieu qui se rendait présent au milieu de l’assemblée.
L’icône, peinture à la détrempe sur bois, a été introduite plus tard dans le concert liturgique. Les clôtures qui séparaient le sanctuaire de la nef, colonnes montées de poutres en pierre, étaient décorées par des plaquettes d’émail représentant les grandes fêtes de l’année ou la déesis. Entre les colonnes, de grandes draperies brodées étaient suspandues. Dès les IXème-Xème siècles, des icônes peintes sur bois prenaient leur place. Ainsi s’est développé graduellement l’iconostase, paroi porteuse d’icônes et séparant le sanctuaire de la nef de l’église. En Russie, cette paroi s’est développée à l’extrême, englobant des dizaines d’icônes ordonnées selon un programme défini et théologiquement fondé.
Dômes de l'église Theotokos Pammakaristos, mosaïques, XIVème siècle, Istanbul, Turquie
Aux Xème - XIème siècles, dans le monde byzantin et après la crise iconoclaste (se terminant avec le deuxième concile de Nicée en 887), un programme plus systématique pour la décoration des murs, les coupoles et absides est établi. Un processus lent qui a abouti à des églises entièrement couvertes de mosaïques, et plus tard, de fresques, des voûtes jusqu’au sol. On trouva nombre de monuments, ornés de la sorte, jusqu’aux confins de l’empire Byzantin, une tradition qui continue jusqu’à maintenant et qui est plus vivante que jamais. Les thèmes sont organisés, selon une logique théologique, du haut vers le bas. Commençant avec le Christ Souverain de l'Univers dans la coupole, descendant d’abord par l’intermédiaire des prophètes de l’Ancien Testament sur le tambour de la coupole, puis par les quatre évangélistes sur les pendentifs qui font passer la forme circulaire de la coupole vers le cube de la nef, faisant passer ainsi le message au monde terrestre. Les grands évènements de la vie du Christ remplissent les voûtes. Sur les parois, les cycles de la passion, les paraboles ou guérisons, tout cela selon l’espace disponible sur les murs. Près du sol on trouve les icônes des saints qui célèbrent ensemble, avec la communauté terrestre de l’assemblée.
J’ai toujours été fasciné par l’alliance de l‘architecture et du décor peint. L’architecture du temple byzantin est de plan central, formant un cube surmonté d’une coupole, imitation du monde terrestre, limité par les quatre points cardinaux, et surmonté de la voûte céleste. Le temple forme un mini-cosmos, où la tension entre ciel et terre doit trouver sa solution, l’unification des deux mondes étant le fond instigateur de toute religiosité. La coupole, symbolisant le monde céleste se plie vers la terre. C’est pourquoi le Christ, Messager de Dieu, est peint dans cette hauteur descendante. Fortifié par l’iconographie, le reste du bâtiment entre pleinement dans le symbolisme descendant du ciel vers la terre, comme le christianisme l’a ressenti depuis le début. Pas à pas, cette compréhension profonde s’est étendue et organisée sur les murs du temple, et l’ordonnance de l’architecture définissait la suite et la logique des scènes.
Maître de Taüll "Christ Pantocrator" fresque, XIIème siècle, abside de Sant Climent de Taüll, déposée au Musée national d'art de Catalogne, Barcelone, Espagne
Des monuments impressionnants ont été réalisés à partir du VIème siecle, la décoration devenant de plus en plus riche. Son langage stylistique et l’organisation iconographique des thèmes se dispersaient dans tout le monde byzantin à partir de son centre religieux et culturel, le plus important du Moyen-Age, Constantinople.
Néanmoins, cette influence est aussi limitée. D’autres centres importants, plus ou moins isolés, ont gardé une certaine indépendance vis-à-vis de la ville impériale et ont pu développer des variantes extrêmement intéressantes qui à leur tour ont raffraichi l’art de Contantinople. Ils montrent une beauté et une expressivité tout à fait uniques. On peut nommer la Cappadoce, l’Egypte, la Nubie, la Catalogne et l’Occident latin.
En Occident, les églises romanes ont gardé la forme basilicale, la plus ancienne forme du temple chrétien. Elle était aussi la norme à Byzance jusqu’au VIIème-VIIIème siècles. La forme longitudinale des basiliques montrait un autre vécu du message chrétien. Il était moins vécu comme descendant du ciel, mais plus comme un pèlerinage vers le ciel, vers l’abside circulaire qui terminait la longue allée de la nef. La basilique offrait de longues parois aux murs sud et nord rhytmés par les colonnes et les arcs. Elles s’offraient aussi à une suite de scènes de la vie du Christ (le système n’est pas aussi stable que l’organisation de l’église byzantine), disposées en frises accompagnant la montée des croyants vers le sanctuaire et l’autel, guidés par la lumière bienveillante du Maître cheminant avec eux. Chronologiquement, les parois ornées guidaient les croyants du mystère de l’incarnation jusqu’à la résurrection. Au mur nord, ce trajet était illuminé et commenté par des scènes de l’Ancien Testament. Certains monuments (Müstair, Sant Angelo in Formis…) ont conservé ce système bien que l’organisation des parois reste généralement plus fortuit, sauf la décoration de l’abside qui reste très stable en Occident.
"Anastasis", fresque, XIVème siècle, Église Saint-Sauveur-in-Chora, Istanbul, Turquie
Après avoir été ému par l’ingéniosité des Byzantins, mon attention s’est portée aussi vers la périphérie de Byzance et surtout vers l’art roman dont il subsiste d’importants ensembles à fresque. S’ajoutait à l’organisation des scènes répartis dans le bâtiment, le style des différentes régions chrétiennes avec leur propre langage iconographique basé sur les mêmes lois, mais s’exprimant avec grandes différences de style selon les régions. Le fait que chaque peuple ait pu trouver sa propre variante d’un même langage pictural, sans que les différences aient été trop importantes pour qu’elles obscurcissent le message, me semble d’une grande importance. Cette richesse combinait unité et altérité.
Dans cette lignée de pensée, il faut insérer l’iconographie contemporaine qui a le devoir de continuer la tradition mais, si elle se veut authentique, doit échapper à la répétition stéréotypée qui menace toujours les arts traditionnels et qui menace aussi la force du message même dont l’iconographie se veut porteuse. Il est indispensable de trouver une nouvelle fraîcheur d’expression, comme les anciens en étaient chaque fois de nouveau capables. L’iconographie contemporaine sera nécessairement liée au temps actuel, et à la personnalité de l’iconographe et au monde auquel il appartient. La tâche de l’iconographe est donc complexe : il doit échapper aux stéréotypes, au formalisme, tout en restant fidèle à soi-même, sans trahir ou appauvrir la richesse de la tradition et du message qu’elle soutient. Beaucoup de peintres iconographes, partout dans le monde orthodoxe, font des recherches et aboutissent à des résultats parfois remarquables, parfois décevants.
Par la force des choses, j’ai toujours dû me limiter à la peinture sur panneaux, grands et petits, pour des églises, monastères et pour des particuliers. La majorité de mes oeuvres trouvaient leur place dans le milieu catholique, un environnement nouveau pour les icônes, la tradition catholique étant plus centrée sur les statues. La nudité des basiliques cisterciennes reçoit au mieux une seule image, qui peut alors déployer toute sa beauté.
Cette limitation n’a pas pu éteindre mon désir de pouvoir peindre des fresques affresco. Après 30 ans d’iconographie une porte s’ouvrait. Le premier pas était une invitation du père Patrick Doolan, co-élève d’iconographie dans les années 1980 à Paris chez notre maître commun, Léonide Ouspensky. L’invitation était de venir au monastère de Saint Grégoire le Sinaïte, en Californie, afin de faire un premier pas dans l’art de la fresque. Lui-même décorait à ce moment une grande église de tradition russe à Santa Rosa. Là, j’ai pu réaliser quelques petites fresques portatives. Je n’ai pas pu donner suite à cette première expérience enrichissante.
Joris Van Ael "Saint Jean-Baptiste" détail, fresque
Plus tard, une de mes élèves, Valérie Letombe, m’a signalé l’existence d’une formation à la fresque à Paris, à l’école Duperré, sous la direction d’Isabelle Bonzom.
Cette opportunité coïncidait avec une demande de l’Institut patristique de Gand pour décorer l’abside de leur petite chapelle. Toutes les conditions étaient là pour me jeter dans une nouvelle aventure. L’abside en cul de four se prêtait à une décoration traditionnelle. Je pouvais mettre en valeur mon expérience iconographique et mes connaissances des différentes traditions. La chapelle m’offrait une atmosphère romane bien qu’il fallait veiller à ne pas faire de l’antique. Je projetais une Maiestas Domini entourée des quatre vivants, un thème inspiré par le livre de l’Apocalypse de saint Jean et communément exécutée durant plus de 300 ans dans les absides de France, Autriche, Allemagne, Suisse, Catalogne … Après la Maiestas, j’ai encore réalisé une Annonciation sur l’arc entourant l’abside.
À Paris, après deux cours de théorie, on pouvait dans les ateliers du Parc de Bercy travailler sur des murs de grandes proportions et peindre à fresque les thèmes qu’on voulait. L’atmosphère dans l’atelier était très joyeuse et motivante. Isabelle Bonzom a le talent d’instruire avec une grande maîtrise du métier et un don spécial pour encourager et surmonter les difficultés, cela nous aidait beaucoup.
Joris Van Ael "Maiestas", fresque, chapelle Saint Jean-Baptiste à l’Institut patristique de Gand, Belgique
On peut se demander pourquoi s’engager dans une technique si ancienne et peu pratiquée aujourd’hui. La raison majeure pour moi est l’unique capacité de la fresque affresco, peinture sur enduits frais et humides, de s’unifier avec le mur. Toutes les autres techniques posent la peinture sur le mur et le cachent en quelque sorte. Ce sont toujours des murs peints, tandis qu’une décoration à fresque reste une peinture murale, elle ne fait qu’un avec le mur, valorisant le mur par la peinture. Les pigments carbonatent ensemble avec l’enduit et deviennent pierre.
Ainsi, on garde davantage le symbolisme de la paroi, spécialement pour les chapelles ou lieux sacrés. Le mur, la voûte sont des lieux symboliques séparant le monde matériel du dehors du monde sacré. La signification symbolique de l’architecture est affermie et élevée par la décoration qu’elle reçoit. Elle ne dissout pas la réalité de la paroi et ne la cache pas sous une couche de peinture qui ne lui appartient pas. L’absence de l’illusion de profondeur dans le langage iconographique révèle le mur comme fond et limite sur lequel les figures se déploient, créant ainsi un monde nouveau, un monde intérieur où d’autres lois ont le dessus. Cette absence d’illusion est renforcée par la technique de la fresque qui permet difficilement le rendu d’une profondeur, qui est automatiquement limité. De plus, le résultat est unique. Comme la chaux des enduits se lie aux pigments, les couleurs gardent pureté, légèreté et luminosité qui peuvent difficilement être atteintes par d’autres techniques, ce qui donne à la fresque une aptitude spéciale pour les sujets spirituels.
Joris Van Ael, fresque, détail
En tant qu’iconographe, j’ai toujours aimé l’aspect artisanal comme base du travail créatif. La fabrication des panneaux (au bois de tilleul), la préparation, la pose du gesso, la dorure, etc… étaient toujours partie intégrante de mon travail, donnant à l’oeuvre d’art une qualité humaine, humble et terrestre. Il en est de même pour la fresque : la préparation du mur, le gâchage des mortiers et enduits, leur pose et le talochage sont des valeurs qui marquent le travail créatif. De même le cheminement de l’esquisse aux dessins, aux maquettes de couleur; une préparation approfondie des sujets étant indispensable, vu que le temps de peinture est très limité. Tout cela demande de la patience, du métier, de l’attention et de la concentration. Aucun aspect ne peut être négligé car le tout est important pour aboutir à une oeuvre mûre et équilibrée. Chaque élément du processus contribuera aux qualités artistiques et spirituelles de l’oeuvre réalisée. Pour l’iconographe, la fresque s’adapte merveilleusement au message évangélique proclamé sur les murs, coupoles et absides du temple chrétien.
Joris Van Ael, 2020
Joris Van Ael "Vierge de l'Annonciation" détail, fresque
Joris Van Ael peignant à fresque, atelier fresque des Cours Municipaux d'Adultes de la Ville de Paris dirigé par Isabelle Bonzom
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