" L'aventure de la peinture à fresque avec des ados "
un essai de Joël Edru
Réalisation à fresque de "La nouvelle cantine (la manne au désert)" en 2017
Voici plus de 25 ans, ma conversion à l’orthodoxie m’entraina à apprendre la théologie et par prolongement la peinture d’icônes, puis la mosaïque et, depuis 5 ans, la peinture à fresque sous la direction d’Isabelle Bonzom dans le cadre des Cours Municipaux d'Adultes à Paris. Tout ceci fut réalisé en parallèle de mon métier d’enseignant de sciences-physiques, d’abord dans le public jusqu’en 2013, puis dans le privé.
Fresque collective du « Lycée » (2016) sur le mur de l’établissement
Le cadre
Durant cinq années consécutives (2015-2019) et dans le cadre d’une option de niveau 2° ( option Méthodes et pratiques scientifiques ) au lycée privé Notre-Dame d’Orveau situé en Maine-et-Loire, furent réalisées, par environ 30 à 40 élèves âgés de 15/16 ans des fresques d’à peu près 2 m x 2 m selon la technique ancestrale du buon fresco, peinture sur enduit frais composé de chaux aérienne.
À raison de deux groupes par semaine sur un temps propre de 75 minutes, tout le troisième trimestre fut consacré au thème « Science et œuvre d’art » . Nous avons pu travailler sur le cycle de la chaux et montrer comment le calcaire, après transformation en chaux vive dans les fours, puis en chaux éteinte dans l’eau, redevient calcaire en emprisonnant les pigments après séchage et phénomène de carbonatation lors de la peinture. Le lien naturel avec le cours de chimie permit d’utiliser ces phénomènes pour apprendre à équilibrer les réactions chimiques ou fabriquer un pigment artificiel (bleu de turnbull). Nous avons pu également vérifier ce que nous avions abordé durant le cours théorique par la visite d’impressionnants fours à chaux situés à 20 km.
Gérer de tels groupes ne fut pas tâche aisée, c’est pourquoi la technique directe sur mur, après pose des gobetis, mortier puis enduit, fut abandonnée dès la première année au profit d’un travail sur briques avec pose unique d’enduit le jour J. Bien que restrictive en imposant deux élèves par brique, cette technique présente l’avantage d’apporter une plus grande souplesse et de développer l’esprit d’équipe en provoquant les échanges et discussions au sujet des lignes et des couleurs.
Calculer la mise aux carreaux
Le déroulement
Vers Noël, le thème de la future fresque était imposé aux élèves, en rapport avec le lycée et l’enseignement, avec mission de réaliser un dessin pour début mars.
Les contraintes liées à l’utilisation de briques (28 x 40 cm) étaient alors bien expliquées et le dessin devait être simple, sans laisser de brique vide et en anticipant les difficultés de liaison d’une brique à l’autre. A ce premier stade commençaient déjà les difficultés. Car sans compter les résistances naturelles inhérentes au cadre scolaire, un grand nombre d’élèves se trouvait démuni, voire désemparé, devant de telles consignes. En effet, beaucoup d’enfants mais peu d’adolescents dessinent. Ainsi très vite se dressait l’écueil de l’expression artistique personnelle adjoint à celui du regard d’autrui. Le but recherché ici n’était pas tant d’obtenir des dessins que de trouver celui sur lequel tout allait démarrer et reposer. C’est en général en mixant deux ou trois dessins récoltés que j’en réalisais un seul, tenant compte des conditions sus-citées, que les élèves devaient valider après quelques discussions animées et d’inévitables rajouts ou retouches. En réalité, dès que le dessin était enfin accepté à la majorité, tout pouvait démarrer.
Les mois d’avril et mai furent mis à profit pour reporter et peindre à l’œuf le dessin choisi et retravaillé à l’échelle 1, apporter un regard critique sur la manière de peindre et le choix des couleurs, réaliser le calque des diverses parties, préparer l’enduit et s’entrainer à le poser. Tout, durant cette période, était focalisé sur le grand jour, prévu systématiquement le mercredi de la dernière semaine soit vers le 15 juin, où tous les cours des participants étaient de fait supprimés
Dernier choix parmi les maquettes
Le grand jour
Deux salles de sciences étaient réquisitionnées ce jour-là car elles disposent de paillasses forts utiles et s’avèrent assez vastes pour contenir ce grand nombre d’élèves. L’expérience a révélé trois parties successives et différentes durant ce laps de temps courant de 8h du matin jusqu’aux environs de 18h.
La première étape fut celle de l’attaque, de l’embauche, de la difficile mise en route et prise des repères. Durant les trois premières heures chaque binôme fut invité à préparer son enduit, le poser sur la brique, décalquer son propre dessin et commencer à poser les couleurs de fond. Le travail s’interrompait lors de la rapide bénédiction du Père Paul, indispensable à l’accomplissement d’une telle tâche, dont l’effet était d’enhardir les cœurs et de donner un sens aux actes posés.
Assurément, cette étape fut la plus éprouvante car l’adulte responsable que j’étais fut assailli de questions qui me laissaient sans répit. Il me fallait de plus maintenir une vigilance de chaque instant afin d’éloigner tout risque de catastrophe. On pourrait passer sous silence les batailles d’enduit, l’utilisation des masques comme lance-pierre ou encore ce cher Martin qui effectua son décalque à l’envers ! Toujours est-il qu’à chaque fois, vers 11h, toutes les briques étaient réunies et que l’ébauche donnait une entière satisfaction décuplée par la collation qui suivait. A ce stade, les enduits étant trop humides, une pause de rigueur permettait la mise en place de la phase suivante qui voyait le groupe scindé en deux. Commençait alors la seconde étape.
Répartition des couleurs à fresque
Vers 12h s’imposaient les successifs passages à la cantine et débutaient le rangement du matériel précédemment utilisé ainsi que le nettoyage d’une des salles sous la direction de ma collègue enseignante. Un groupe d’une douzaine d’élèves se relayait au chevet de la fresque qui s’ennoblissait progressivement de diverses couches de couleurs. Mais le temps passant les artistes furent confrontés à une limite, ne sachant plus que faire ni comment, et ils abandonnèrent les uns après les autres, persuadés que l’ouvrage était achevé. C’est justement le moment que j’attendais pour reprendre les choses en main et me mettre à peindre. Ainsi débutait la troisième phase, assurément la plus féconde, durant laquelle ne subsistaient que les élèves les plus motivés et les plus déterminés.
Enfin débutait ce que je nommais le moment de la « bascule », car sitôt que je leur montrais à repasser les lignes et à les conseiller sur les couleurs, une renaissance intervenait, avec un groupe fort réduit, dans un respect admirable du travail de l’autre, une motivation sans égale et un silence quasi religieux qui contrastait avec le brouhaha incessant du matin. Cette fois la fresque démarrait, elle naissait de nouveau dans un plaisir palpable. Chacun avait pleinement conscience qu’il fallait faire vite car la forte chaleur de ce temps quasi estival réduisait le temps de peinture.
Tous les acteurs savaient pertinemment que dès que l’enduit est sec, toute carbonatation prend fin et la peinture a fresco cesse : la peinture à fresque est terminée. Peindre selon cette technique sous la chaleur revient à entamer une véritable course contre la montre.
Les œuvres
Aujourd’hui ces cinq fresques ornent l’établissement scolaire puisqu’elles ont été collées directement sur le mur du bâtiment d’études, du bâtiment des sciences, de la cantine et du gymnase. Elles ont eu pour thème : "Le château du lycée" en 2015, "Le lycée" en 2016, "La nouvelle cantine (la manne au désert)" en 2017, "Les sciences (Newton et Einstein)" en 2018 et "Le sport" en 2019.
Agrandissement de la maquette
Bilan
Comme il est difficile d’imaginer, lorsqu’on passe son regard sur ces œuvres disséminées sur d’immenses murs, tout le travail, les peines et les joies qu’elles résument. Elles m’entrainent cependant vers quelques pensées.
Il est surprenant de constater qu’à partir d’êtres aux motivations, goûts et envies si disparates une unité progressivement s’est formée. Car ces différences, entre celui qui veut bien tenir la truelle mais pas le pinceau, celle qui refuse de toucher l’enduit, l’un qui veut peindre en rouge là où l’autre veut du bleu, sont entrainées dans le tourbillon du temps ainsi que l’exigence de la création. Elles sont transformées en une complémentarité fructueuse.
Sans conteste, chacun est fier d’avoir participé à la réalisation d’une œuvre commune et originale destinée à durer dans le temps, inscrite dans un cadre officiel. Toutefois le plus important est que jamais, malgré les doutes, les difficultés ou les résistances, le capitaine de ces expéditions hasardeuses n’a dévié de sa route mais a maintenu fermement le cap, entrainant à sa suite toute une kyrielle d’apprentis moussaillons.
Joël Édru, 2020
S’entraîner pinceau en main sur la maquette échelle 1
Détail de la fresque du « Château », traces de gravure et tons vifs sur l’enduit frais
Maquette colorée des « Sciences - Newton et Einstein » ( 2018)
La fresque des « Sciences - Newton et Einstein » ( 2018) sur le mur de l'établissement
Détail de la fresque « Le sport » projet 2019
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