" Buon Fresco et Art Thérapie : Dans la vie il n’y pas de hasard "
un essai d'Eva Foerster
Peinture à fresque probablement par Josef Degenhart, autour de 1790
Architecte et fresquiste, je suis architecte DPLG et art thérapeute, formée à la fresque dans l'atelier d'Isabelle Bonzom aux Cours Municipaux d'Adultes de la Ville de Paris, à l'école Duperré, de 2005 à 2008.
La fresque est pour moi un souvenir d'enfance
Je suis née dans la Ruhr, la région la plus industrialisée d'Allemagne, là où il y avait les mines de charbon et d'acier. Cette région a été lourdement détruite pendant la deuxième guerre mondiale et a été reconstruite "à l'allemande" avec des barres rectangulaires de logements collectifs en briques avec des toits à 45°. J'avais 4 ou 5 ans quand nous sommes descendus pour la première fois vers le sud de l'Allemagne, vers les Alpes pendant les vacances d'hiver.
Là, j'ai découvert des maisons différentes, des maisons colorées, couvertes de peintures. Dans les villages dans la montagne, les maisons anciennes étaient peintes, parfois juste autour des fenêtres, avec un médaillon ou au dessus de la porte et parfois intégralement. Des grandes charpentes en bois protègent les façades et inscrivent les maisons dans le paysage.
Maison peinte à fresque, Tyrol
Il s'agit d'une peinture Buon Fresco, peinte dans l'enduit frais, appelée Lüftlmalerei, qui a été réalisée en Haute-Bavière, en Autriche et dans le Tyrol. Cette peinture me rappelle les Trachten, les habits de fête des paysans. Les maisons sont décorées de moucharabieh en bois, comme de la dentelle, l'artisanat trouve sa place partout, les habitants ont envie de parure, d'ornement. Cette envie rassemble les villages et s'inscrit à l'extérieur des maisons.
Nous sommes loin du "less is more" de l'architecture moderne, ici tout rappelle la Gemütlichkeit, terme allemand difficilement traduisible qui indique le bien être à la maison.
Maison peinte à fresque, seconde moitié du XVIIIe siècle, peinture de la façade par Josef Degenhart
C'est une architecture vernaculaire qui se sert de la fresque comme décor bon marché pour exprimer une gaité de cœur et un ancrage dans le territoire plus qu'une richesse matérielle. Je le comprends comme l'aboutissement d'un savoir vivre, d'une intégration de l'art dans la vie de tous les jours.
Finalement, j'ai trouvé à Lyon la maison de mes rêves qui, elle aussi, profite d'un décor peint, d'une façade en trompe l'œil avec des fausses pierres et des colonnes d'angles. Dans notre quartier, il y avait d'autres maisons avec des décors peints sur l'enduit. Leurs traces se sont perdues au fil des rénovations, les maçons ne connaissent que rarement les techniques anciennes d'ornementation. La façade est en enduit ciment naturel prompt. Cet enduit permet de réaliser des moulages et un travail en relief, c'est un bon support pour des badigeons à la chaux.
Notre maison enduite à la chaux, Lyon
Détail de l'enduit de la façade de notre maison à Lyon
Fresque Thérapie
J’ai commencé à travailler la fresque à la fin de la trentaine, en situation de crise personnelle, j’étais en train de me séparer de mon mari et j’avais également quitté mon travail en cabinet d’architecture. J’intégrais que le fait d’avoir quitté mon travail impliquait de renoncer à être un architecte à part entière qui s’inscrit dans la matière en construisant des bâtiments à son nom. Faire le deuil de la partie créative de mon métier me permettait d’accéder à plus de sécurité, un emploi plus stable. Ceci impliquait de passer du côté de la conception vers celle de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage, d’intégrer une position à l’aide à la fabrication et à la gestion des bâtiments.
Finalement ma carrière dans les métiers techniques du bâtiment n’a duré que quelques d’années, j’avais besoin de revenir vers la création et de comprendre plus les émotions liées à l’expression artistique et j’ai commencé alors une formation pour être Art Thérapeute.
"Dahlia" détail d'une fresque d'Eva Foerster, gravure de l'enduit et peinture à fresque
Mon attirance pour les fresques est liée à des souvenirs d’enfance, à la découverte de bâtiments couverts de fresques dans le sud de l’Allemagne et en Autriche. J’ai conservé un souvenir de gaité et de fascination face à ces bâtiments qui rappellent des décors de théâtre, qui ont une position singulière en harmonie avec les bâtiments voisins et avec le paysage. Ils sont individualisés avec leurs expressions propres tout en faisant partie d’un ensemble. J’ai eu cette même impression également dans les intérieurs d’églises couverts de fresques, ces espaces qui font appel à l’au-delà et effacent les limites de l’enveloppe bâti.
La peinture murale est un moyen d’expression archaïque, les premières traces peintes des civilisations humaines ont été trouvées dans les grottes préhistoriques. L’homme a peint sur les murs avant de peindre des tableaux.
Le Buon Fresco est une technique qui se mérite, l’élaboration d’une fresque passe par plusieurs étapes. D’abord il faut composer la fresque, définir ses couleurs, sa taille et son dessin, faire une maquette précise.
"Eau-Montagne" buon fresco, 80x120 cm, Eva Foerster
Ma pratique du Buon Fresco
C'est une technique corporelle, des gestes amples et fluides. La fresque, comme la calligraphie et l'aquarelle, fait intervenir le hasard. Elle ne permet pas de tout contrôler. La chaux donne une brillance, une profondeur aux couleurs, permet la superposition en transparence de plusieurs couches.
La préparation du support (enduit) est un travail physique et laborieux. Il faut apprendre le geste du maçon dans son corps. Cet apprentissage implique la frustration, le tour de main doit être répété encore et encore pour être automatisé. Cette répétition arrive à harmoniser corps et esprit, permet de trouver un rythme intérieur, apaise le mental et crée un réel lien avec le support à peindre. Aussi la fresque demande une préparation méticuleuse ; une fois le moment venu il faut peindre rapidement sur l’enduit encore humide, avoir préparé et anticipé tous les couleurs et les pinceaux en avance. Comme dans la calligraphie, il faut le geste juste et sûr, la peinture est absorbée immédiatement par l’enduit, des retouches sont impossibles. A ce stade, l’enduit peut être travaillé en relief, peut être gravé ou modelé en surépaisseur. Malgré tout ce travail préparatoire, il faut composer avec l’erreur, les couleurs qui varient suivant l’humidité et la qualité du support, développer une réelle capacité d’adaptation.
A gauche, Eva Foerster gravant sur l'enduit frais et à droite, Eva en train de peindre la deuxième partie de "Eau-Montagne"
Le mur vertical permet une distance par rapport à l'œuvre, l'enduit à peindre est solidement ancré sur son support. Une fois les grandes lignes fixées, le jeu d'équilibre s'installe. Petit à petit les touches de couleur se mettent en mouvement, se répondent et gagnent en intensité. Le mur est là pour tout absorber.
Le mur permet le grand format, le geste corporel spontané, il devient le support des projections. Après une première phase laborieuse et physique, l’enduit devient une surface à peindre idéale qui peut rester rugueuse, être gravée, creusée, ou être lissée. C’est un support malléable et résistant. Il supporte plusieurs couches de peinture en transparence, gagne en intensité après chaque passage. Les gestes s’en suivent, il est facile de prendre de la distance.
Dessin préparatoire d'Eva Foerster pour projet de fresque
C'est avec la fresque que j'ai découvert les projections de peinture, le jaillissement des couleurs, la superposition des couches, le geste corporel qui se traduit en trace. Le pinceau peut être chargé de peinture très liquide ou d'un badigeon coloré en pâte. J'ai creusé l'enduit avec le bout du pinceau, ces creux qui deviennent du relief, des ravins de peinture liquide. Le corps s'implique, la surface d'enduit devient hypnotique, les gestes sont sûrs, je suis dans l'émotion et connectée à l'inconscient.
La trace s’inscrit sur le mur, le mur devient étayage
L’activité de fresquiste m’a permis de me recentrer et de stimuler mes capacités de résilience. J’arrivais à inscrire en matière, en enduit et en peinture les mouvements de tai-chi que je pratiquais en parallèle. Ces deux activités m’ont permis une autre perception de l’art, plus ancré dans le présent, et ont modifié ma notion d’esthétique. J’ai découvert que beauté peut être éphémère et exprime avant tout une émotion. Notre capacité d’être ému face à l’art s’explique par notre empathie esthétique face à l’œuvre.
Aujourd’hui, je suis convaincue que la fresque Buon Fresco est un média adapté à l’Art Thérapie.
Eva Foerster, 2020
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