" Un art entre peinture, sculpture et architecture "
un essai d'Elodie Bétoulaud
Élodie Betoulaud est architecte-scénographe et membre du collectif de fresquistes de Pari(s) Affresco. Architecte HMONP, elle explore la sculpture et la peinture. Elle pratique la technique de la fresque a fresco depuis 2016. Elle évoque ici ses recherches et ses réflexions sur l'art de la fresque, peinture sur enduit frais composé de chaux aérienne.
Elodie Bétoulaud "Méandres" détail, fresque et sgraffito
Le potentiel de la matière
Je suis architecte de formation. Le dessin, la peinture et la composition font partie de mon domaine de réflexion. J’ai travaillé en tant que décoratrice et découvert assez tôt dans mon parcours, les métiers du décor de cinéma et de défilés. Par eux, j’ai développé un vif intérêt pour les peintres matiéristes et ai ainsi fait un pont avec les ornements d’architecture.
En allant vers la fresque, j’allais naturellement vers ce que je considérais être un art entre l’architecture et le décor.
J’ai fait mon premier apprentissage en 2016 à l’atelier fresque dirigé par Isabelle Bonzom aux Cours Municipaux d’Adultes de la Ville de Paris. Après les présentations de la matière et du mode de fonctionnement de la peinture a fresque, je me suis particulièrement intéressée à la teinture dans la masse de l'enduit frais et à la gravure sur cet enduit. Mon premier sujet était abstrait, comme tous ceux qui ont suivi à degrés différents. Je m’attelais à une suggestion de troncs de bouleau. La composition ne représentait qu’une partie des troncs, sujet souvent cité en peinture (par Klimt, par exemple) et graphiquement minimaliste. Voulant me rapprocher des estampes asiatiques qui me semblaient pertinentes par rapport à la technique de peinture à fresque aux pigments purs, elle-même proche de celle de l’aquarelle.
Lors de mon premier stage, j’ai vu la peinture à fresque comme un mode d’expression de la matière. Notre temps de travail se divise quasiment à part égale entre la préparation et l'application de la matière (mortier, puis enduit) d'un côté et la peinture, de l'autre. La peinture révélant la composition. De fait, j’ai interprété la fresque comme un point de convergence entre l’architecture, la sculpture et la peinture.
L’architecture ; car la fresque s’inscrit dans un lieu, sur un mur et dans la durée qui va bien au-delà de n’importe quelle autre forme de peinture, sans aucune nécessité de restauration. Les fresques pompéiennes, pour ne citer qu’elles, nous rappellent la vivacité et la permanence de cette peinture si particulière et pensée pour une maison, un temple, une personne. Elles ravivent par leur permanence et leur proximité une époque si lointaine pourtant. A échelle plus réduite, un mur, ses aspérités et ses contraintes, font l’essence et la poétique même d’un projet en architecture.
Par exemple, pour les troncs de bouleau que j'ai peints, j’ai joué avec les défauts muraux pour suggérer des nœuds par exemple.
La sculpture ; car l’on manie une matière, l'enduit de chaux, couche après couche. Matière que l'on peut graver, teinter dans la masse, travailler en bas-relief. La fresque, pensée par couche est un univers de possibles infinis. J’ai beaucoup expérimenté cet aspect, peut-être par peur de la durabilité vertigineuse précédemment évoquée ou par manque de confiance dans le trait face à la feuille blanche. Cette technique m’a permis de suggérer des plans dans la composition, d’accentuer les reliefs et de créer de petites ombres portées.
Enfin la peinture ; l’évidence. La préparation des pigments et des maquettes représente une part énorme du travail en amont de la fresque. Pourtant, je n’ai jamais voulu (ou plutôt pu, selon les contraintes professionnelles) préparer une maquette aboutie. J’ai de ce fait abordé la fresque comme une suite d’inattendus qui, suivant un fil directeur, se passent pour ainsi dire « au pied du mur ».
Elodie Bétoulaud " Cartographie" fresque et gravure sur enduit de chaux, en cours de réalisation
De la matière à la couleur
Mon second stage de fresque arrivait après un long voyage en bateau, j’avais donc envie d’aborder, cette fois-ci, un sujet entre ciel et mer Inspirée d’une photographie aérienne des méandres de la baie du Mont Saint Michel, la composition révélait 4 oies sauvages en migration survolant la baie. Le pan de mur qui m’était attribué avait plusieurs contraintes : une partie courbe et la fresque précédente qui avait beaucoup été retouchée à sec, donc avec des pigments instables qui allaient se mélanger avec mon mortier. J’ai fait de cette dernière contrainte une force en utilisant les pigments résiduels comme une teinte inégale qui se répartissait dans la matière, créant des dégradés, et suggérant les nuages ou l’eau selon l’endroit. D’une certaine manière cela me faisait penser au fusain. Quant au pan de mur courbe, il m’a permis d’inscrire une dynamique dans la composition, avec trois oies émergeantes et plus imposantes. J’ai continué le travail par strates pour révéler l’eau en creux et accentuer les plans des nuages et les reliefs des plumes. Le mortier sous l’enduit était teinté dans la masse en gris pour jouer sur la gravure.
Pour mon troisième stage, j’ai souhaité m’atteler à un travail sur la couleur. Tandis que mes deux fresques précédentes se situaient toujours dans les ocres bruns, gris avec quelques touches plus saturées, j’ai pris une vue aérienne totalement abstraite montrant des marais salants et les routes les structurant. Ici, il y avait des nuances de turquoise, de jaune, de rose, de vert. J’ai travaillé une teinture dans la masse pourpre pour le mortier afin de contraster avec le turquoise dominant. J’ai gravé l’enduit blanc le recouvrant par endroit pour suggérer des plages, du sable et j’ai fait un travail principalement sur le dégradé à la manière de l’aquarelle. Tandis que les sujets précédents mettaient en avant les textures, cette peinture introduisait aussi la suggestion du reflet et des brillances de l’eau si difficiles à représenter en peinture. Cette fresque, pour moi la plus inégale, a tout de même ouvert une voie plus audacieuse vers les assemblages de pigments que j’explorerais sans doute dans celles à venir.
Elodie Bétoulaud " Méandres" fresque et sgraffito
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